Les manchettes économiques se suivent et se ressemblent : la ville de Québec va très bien. Taux de chômage quasi inexistant, investissements importants et main-d’œuvre qualifiée font de la capitale un lieu où il fait bon faire des affaires. Mario Polèse, professeur à l’INRS, se penche depuis des années sur le développement de la ville qu’il surnomme affectueusement «le tigre nordique».

Mario Polèse

Sans surprise, le revenu moyen des habitants de la ville de Québec est inférieur à celui des métropoles canadiennes. Les Québécois gagnent moins que les Montréalais et les Torontois.

 

Il faut toutefois compter sur le fait que Toronto et Montréal sont des centres économiques importants, où de nombreux revenus sont bien au-dessus de la moyenne. Les sièges sociaux et les gens travaillant en finance augmentent les moyennes des deux métropoles.

Contrairement au salaire moyen, le salaire médian est étonnamment élevé dans la région de Québec. Il dépasse même ceux de Montréal et Toronto! Pour ceux qui peinent à se souvenir de leurs cours de mathématiques, une personne gagnant le salaire médian se trouve au centre de la distribution, ce qui veut dire qu’autant de personnes ont un revenu inférieur et supérieur à elle.

Concrètement, cela signifie que la capitale manque de millionnaires, mais qu’elle compense amplement par le biais d’une classe moyenne forte et éduquée.

Une main-d’œuvre de qualité à bon prix

Le coût de la vie à Québec est beaucoup moins élevé que dans d’autres centres industriels et technologiques. Le prix moyen des loyers, par exemple, est plus bas qu’à Montréal, Toronto, mais surtout que dans la Silicon Valley. Des travailleurs, même très qualifiés, sont prêts à accepter un salaire moins élevé pour demeurer dans la capitale, car ils profitent d’un marché immobilier beaucoup plus abordable et d’un coût de la vie réellement plus bas. On vit bien à Québec.

Le taux de chômage pratiquement inexistant donne certes des maux de tête à certaines entreprises, en particulier dans la restauration et le commerce au détail. «Ce n’est pas parfait, convient le professeur Mario Polèse, mais c’est une situation que de nombreuses villes envient.»

Une culture franco qui se distingue

La prépondérance de la langue française est à la fois un atout et un désavantage sur la scène mondiale. Il s’agit d’abord d’un inconvénient, parce que selon M. Polèse, notre société francophone peut nous mettre des bâtons dans les roues au moment d’aller chercher des talents outre-mer. Un ingénieur coréen, par exemple, préférera généralement établir sa famille et travailler dans une communauté anglophone.

De l’autre côté de la médaille, notre main-d’œuvre hautement qualifiée est beaucoup moins mobile que chez nos voisins canadiens et américains, un avantage qui plaît aux investisseurs étrangers. Évidemment, de nombreux ingénieurs et techniciens québécois travaillent en anglais partout dans le monde. Les obstacles à affronter sont toutefois plus importants pour un francophone. «Si vous formez un petit génie au Québec, il y a beaucoup moins de chances qu’il parte pour les États-Unis», explique M. Polèse.

Une remontée spectaculaire

Les années 60 et 70 ont été une période de déclin économique pour la ville de Québec. L’Université Laval a quitté la vieille ville, que les citoyens désertaient également au profit des banlieues et de leurs nouveaux centres commerciaux. Le principal employeur était le gouvernement, et d’immenses autoroutes charcutaient et isolaient les différents quartiers.

Comme l’illustre M. Polèse dans un article publié dans le City Journal, «dans les années 60 et 70, Québec a fait toutes les erreurs classiques que les étudiants de première année en urbanisme apprennent à éviter».

La performance économique étonnante des dernières années peut en partie être expliquée par une baisse importante des emplois dans la fonction publique au cours des années 90. Durant les années 80, le salaire moyen à Québec était plus élevé que la moyenne canadienne grâce aux nombreux emplois au gouvernement. La poursuite du déficit zéro a renversé la vapeur, intéressant les investisseurs étrangers à cette main-d’œuvre compétente, mais abordable.

Des décisions politiques importantes, comme celle d’attirer des chercheurs et des entreprises technologiques dans un centre-ville rénové, ont également permis de redémarrer le moteur de la croissance économique.

Stuttgart plutôt que San Francisco

Pour un investisseur cherchant à établir une usine, la région de Québec est, aux yeux de M. Polèse, un lieu idéal. Il y a tout d’abord la proximité avec les États-Unis qui permet de facilement importer et exporter avec la première puissance mondiale. «C’est moins glamour, mais quelqu’un doit tout de même fabriquer toutes sortes de choses. On ne peut pas tout importer de Chine», explique-t-il.

«Sans être la Silicon Valley, Québec offre une main-d’œuvre très qualifiée qui ne demande pas des salaires exorbitants», ajoute le chercheur. Ce n’est d’ailleurs pas uniquement vers la côte ouest américaine que le regard des entrepreneurs québécois à la recherche d’inspiration devrait se tourner. Il y a aussi l’Allemagne. «Ce n’est pas une vedette dans le domaine des hautes technologies, le pays n’a pas de grosses compagnies comme Facebook ou Google, mais économiquement ça va très bien», détaille-t-il.

Si l’ingénierie allemande est si réputée, c’est grâce à sa main-d’œuvre très compétente et aux salaires relativement compétitifs, une situation qui rappelle beaucoup celle de la capitale. «Évidemment, nous ne sommes pas l’Allemagne, mais grâce aux cégeps nous avons une force de travail très qualifiée», explique-t-il. Pour M. Polèse, l’éducation technique est au cœur de la performance économique actuelle de Québec. «L’important, c’est d’avoir un bon système d’enseignement et de ne pas tout miser sur l’université.» Il est ainsi primordial de continuer à encourager le développement de l’éducation technique. D’ailleurs, dans les tests scolaires standardisés, le Québec se compare favorablement avec les pays scandinaves, la Corée et le Japon, un autre avantage pour les investisseurs.

«Il faut continuer à pousser l’éducation des Québécois, et ça commence à l’enfance. Au fond, le développement économique, c’est une histoire de famille», conclut-il.