C’est une histoire comme on en voit dans les livres, et ça tombe bien, parce que c’est justement une histoire de livres. 

Il y a plusieurs années, avant l’avènement d’Internet, Gaétan Genest jette l’ancre sur l’avenue Maguire, plus précisément dans un petit local abritant une librairie. Il devient rapidement le bouquiniste officiel de l’artère commerciale de Sillery. 

Vingt-sept ans plus tard, Gaétan Genest est toujours là, mais le cœur n’y est plus. Le temps ayant fait son œuvre, l’homme, maintenant plus âgé, veut changer d’air. La librairie qu’il a bâtie fonctionne de moins en moins. Les livres s’entassent dans un fouillis que seul le propriétaire comprend. Un maigre sentier traverse les montagnes de bouquins, empilés du plancher au plafond. Au fond de la boutique, Gaétan trône toujours sur sa caisse enregistreuse.

Une idée germe dans son esprit : donner L’Ancre des mots pour assurer sa pérennité. Une idée qui attire l’attention du quotidien Le Soleil. L’histoire de cet homme prêt à donner l’œuvre de sa vie en inspire plusieurs. Beaucoup de ceux qui désertaient son commerce sentent comme un petit goût de culpabilité leur remonter dans la gorge. 

La réponse est exceptionnelle, des dizaines de personnes se présentent pour se procurer un ouvrage. Un événement Facebook est mis sur pied et un groupe de jeunes décide de reprendre la librairie. 

C’est le branle-bas de combat : ils vident entièrement le local, le rénovent, refont les planchers. Juste à temps pour l’hiver, une période creuse dans une industrie déjà vacillante. Les rigueurs de la saison froide et le manque de revenus découragent finalement les jeunes. 

La librairie est maintenant entre les mains de Michel Boucher. Libraire de profession, c’est lui qui accueille dorénavant les visiteurs. «J’ai toujours souhaité avoir cette librairie. Elle ajoute beaucoup à la diversité de l’avenue Maguire», dit-il.

La jungle de papier a laissé place à des rayons classés avec soin. Aucun volume n’encombre le plancher. La librairie est lumineuse, comme si la venue des jeunes et le bruit des rénovations lui avaient donné un regain d’énergie. 

«Les gens lisent moins et ils achètent des livres en ligne. Les meilleures années sont derrière nous. C’est très difficile. Pour survivre, il faut vendre plus sur Internet ou encore jumeler un autre commerce», expose M. Boucher, qui pense à un atelier de reliure ou à une maison d’édition. Il se dit plus réaliste que pessimiste.

Un jeune homme entre. Il vient chercher des livres qu’il avait commandés : l’œuvre entier de Marcel Proust. Il tend 60 $ à M. Boucher et sort. «J’aurais vendu ça 150 $ il y a 10 ans», note le libraire d’un ton résigné. 

Il se tourne vers ses étagères, pointe le Dictionnaire généalogique des familles canadiennes, plusieurs volumes à la reliure admirable qui contiennent l’histoire généalogique canadienne-française. Il montre aussi les Relations des Jésuites, une édition plus que centenaire. Sa librairie déborde de livres rares et importants, introuvables ailleurs. Et c’est ce qu’offre M. Boucher aux visiteurs : un amour authentique des livres. «Parmi les livres, je suis très heureux», conclut-il, sourire en coin.

Librairie L’Ancre des Mots

1319 avenue Maguire

Québec, QC, G1T1Z2

581-300-9777